Il
est finalement normal que dans un groupe social restreint (et même en général) fréquentations et "solidarités" s’exercent exclusivement en
fonction de castes étanches : lorsqu’on déroge ou surroge (moins en ce
cas), on démolit une structure de générations et générations qui "satisfait" -relativement- exploités et exploiteurs (complexe de Stockholm d’un côté, évidence logique
de l’autre) structure qui semble pérenne, naturelle, indestructible -et
tout changement inquiète-. (Or en réalité cette structure est fragile.) Si bien que les exploités de "caste"
qui ne se défendent pas eux-mêmes (sans quoi ils ne le seraient pas) ne vont
pas aider ceux qui les défendent.. j'entends les aider à les défendre, (sans quoi, redite, ils
ne le seraient pas) et les exploiteurs, eux, vont dézinguer ceux (de la même
caste qu’eux parfois) qui risquent de les abattre.
Dans
une certaine mesure, on n’aide que ceux qui s’aident eux-mêmes*, fût- ce sans
succès, fût-ce seulement qui le tentent. Se trouver en
première ligne, sous deux feux opposés, c’est ce qui arrive lorsque l’on
aide ceux qui ne s’aident pas. A cela s’ajoute que les exploités de caste, s’expriment avec d’innombrables digressions et omissions rendant la compréhension de leur
discours pénible. Donc la plupart du temps, on aide que ceux qui peuvent plus ou moins renvoyer l’ascenseur. Cela aussi est normal : les exploités de caste
(disons pour simplifier les "sans caste") semblent souvent décevants, c'est normal: maladroits, ils considèrent parfois
que seuls ils méritent l’attention sans avoir l’idée que
cela puisse provisoirement être l’inverse, surtout lorsqu'en raison
même de leur lutte en leur faveur, certains se trouvent aux prises avec leurs pairs qui
ne leur pardonnent pas leur "trahison". Aider quelqu’un qui s’aide
est facile, aider quelqu’un qui sans s’en rendre compte aide son exploiteur est difficile.
Les
sans caste maintenus dans cette situation au départ par l’école (les
orientations après le CM2 ou la 5ième s’effectuent en fonction de la
caste de l’élève et non de son niveau, orientations contre laquelle les parents
ne protestent que rarement, -si le prof le dit c’est que c’est vrai, lui il
sait-) sont de fait dirigés vers des professions sans avenir voire vouées au
chômage et leur instruction sommaire ne les armera pas pour la lutte pour
de meilleures places, bien au contraire, elle les "armera" (!) pour des travaux non qualifiés. L’école est ainsi une machine de
reproduction des inégalités, un outil de
conversion réversible de caste en diplôme et de diplôme en caste.
Tout
est verrouillé : car de surcroît les sans caste, au-delà de
l’instruction et la "culture" qui leur fera défaut, n’auront pas acquis les codes
sociaux tout aussi importants, postures, discours, logos : ils
seront ainsi handicapés pour leur "réussite".. même en cas
d’exception, par exemple des surdoués qui sont passés entre les mailles, ou malgré leur manque de diplômes, pourraient parfaitement réussir à sauter
de leur caste. La survalorisation paradoxale du diplôme et de la réussite
sociale les fonde aussi à la crédulité vis à vis de ceux qui les possèdent (alors
même qu’ils sont souvent conscients d’avoir été injustement empêchés
d’étudier.) Un prof, un avocat, voire même un huissier, un policier, n’importe
qui en imposant, en bluffant parfois, en fait, SAVENT, croient-ils : eux,
non. Mais surtout ils ont rarement l’idée de se renseigner eux-mêmes :
inutile puisqu’il y en qui savent. Souvent, ils n’ont pas davantage l’idée que l’on puisse
volontairement les tromper, profiter de leur ignorance (normale en
bien des cas, mais qui peut être aisément palliée), que l'on peut les dévaloriser pour les
maintenir dans leur situation ; la morale qu’on leur a inculquée
les amène à croire que tous se conduisent avec la même la probité qu’eux.. y
compris lorsque tout démontre le contraire.
Il
est remarquable dans les cas extrêmes que ce défaut de connaissance (de lecture et de manipulation) des
codes les conduise à se fier à qui manifestement les exploite (peu ou prou) et,
pire, se défier de ceux qui les soutiennent. Ayant dérogé, ceux-là se sont "abaissés".. et de fait, pour eux, ne sont pas plus fiables qu’eux-mêmes ;
le défaut de confiance en eux des sans caste s’étend à ceux qui les côtoient. C’est ainsi qu’ils identifient souvent à rebours amis et ennemis,
se défiant des premiers et se soumettant aux seconds ; ceux-ci en jouent, dézinguant
leurs soutiens et leur faisant croire à un isolement qui n’en est pas un. Se
méfiant ainsi de tous, fragilisés, ils seront contraints d’accorder leur
confiance seulement à ceux… qui les exploitent, ceux qui précisément les ont conduits à se méfier de
tous (sauf d’eux évidemment) : un gourou,
(parfois un époux) ou plus généralement des "spécialistes"..
payants. La société de caste est une société de gourous.
Leur
code de référence est le paternalisme, jamais l’égalité. Ce défaut d’évaluation
(même purement pragmatique) des gens et des situations aboutit parfois à
des situations cocasses : tout ceux qui les touchent étant dévalorisés, quand les "autres", même
aimables (relativement) mais plus lointains sont portés aux nues, l’un d’eux, parlant
à ami proche (auteur connu) lui dira au sujet d’une relation
hautement appréciée (quelqu’un qui en fait se sert de lui et qui, malgré la faiblesse de sa situation, lui en
impose au maximum)… qu’il est resté très "simple" malgré tout (!)…
et, lorsque l’ami observera que l’autre lui semble un imbécile prétentieux, il s’entendra
répondre "mais c’est qu’il est tellement sollicité qu’il se méfie au
début mais après, quand on le connaît.. et puis il a fréquenté des
milieux très élevés dans son pays alors c’est normal que par rapport à d’autres
etc.." (!) Inversion des "importances sociales", ici, le cas est fréquent.
Une
famille que ces castes : où parmi les "enfants", l’un choisit
les sciences, la philosophie, l’art, l’autre, le droit, la politique ou les
affaires (le tout se superposant la plupart du temps).. famille qui va se retrouver soudée en cas
de pépins (du reste rares car la caste en général met les siens à l’abri) et donc
se défendre efficacement… tandis que dans l’autre, on "opte" (en
fait, on est contraint d’opter) pour des tâches de faible qualification
(générant un sentiment fautif d’échec, d’impuissance et d’isolement) où en cas
de pépins (fort nombreux et parfois dramatiques car pour eux, tous les coups sont permis) on se retrouve désarmé contre
l’exploiteur. Dans le système, tous savent qui ils peuvent brimer impunément… et qui
ils ne le peuvent sans y perdre plus de plumes qu'acquérir de bénéfices… Les premiers sont au
premier rang, les autres à l’abri. Tout est d’abord "dans la tête",
dans ce sentiment fautif d’isolement, d’impuissance et de peur. Car la loi est
en principe bien faite et souvent efficace (il demeure que cela dépend des
juges et que parfois ceux-ci, faisant parti de "la" caste, peuvent
agir en fonction des intérêts de celle-ci.) Ce n’est pas le cas général.
Le paradoxe est que parfois la surestimation de ceux qui les aident, chez les sans caste, va de pair avec leur trahison involontaire, c’est même un cas assez fréquent. Ainsi lorsque le combat est "gagné", ou en voie de l’être, certains, qui ont cependant bénéficié autrefois peu ou prou de ces interfaces têtes de bélier, peuvent se désintéresser de la "suite" de leur bagarre… tout en affichant une admiration (sincère !) pour eux. Ils ont plongé, se sont mouillés, ("ça" a marché, ouf).. mais se sont enrhumés… On ne va pas leur tendre une serviette pour autant. Ils sont tellement admirables qu’ils n’en ont pas besoin. Quant à participer à un autre combat (pour une autre affaire) à quoi bon ? ils sauront bien s’en sortir seuls, ils l’ont prouvé. De là à les trahir (c’est rare mais cela arrive) il n’y a qu’un pas. A présent que leur propre affaire est réglée, c’est chacun pour soi. Conclusion : aider quelqu’un qui ne s’aide pas, est-ce s’en faire un ennemi ? Non, mais c’est parfois devenir une statue sur piédestal dans un jardin exposée à toutes les intempéries, ce qui n’est guère plus enviable.
Le paradoxe est que parfois la surestimation de ceux qui les aident, chez les sans caste, va de pair avec leur trahison involontaire, c’est même un cas assez fréquent. Ainsi lorsque le combat est "gagné", ou en voie de l’être, certains, qui ont cependant bénéficié autrefois peu ou prou de ces interfaces têtes de bélier, peuvent se désintéresser de la "suite" de leur bagarre… tout en affichant une admiration (sincère !) pour eux. Ils ont plongé, se sont mouillés, ("ça" a marché, ouf).. mais se sont enrhumés… On ne va pas leur tendre une serviette pour autant. Ils sont tellement admirables qu’ils n’en ont pas besoin. Quant à participer à un autre combat (pour une autre affaire) à quoi bon ? ils sauront bien s’en sortir seuls, ils l’ont prouvé. De là à les trahir (c’est rare mais cela arrive) il n’y a qu’un pas. A présent que leur propre affaire est réglée, c’est chacun pour soi. Conclusion : aider quelqu’un qui ne s’aide pas, est-ce s’en faire un ennemi ? Non, mais c’est parfois devenir une statue sur piédestal dans un jardin exposée à toutes les intempéries, ce qui n’est guère plus enviable.
Cela
explique la désolidarisation, parfois, des exploités (y compris lorsqu’ils font
parti de castes intermédiaires) : un tel qui par exemple a besoin d’une
attestation (un petit hiérarque ayant obstrué illégalement une fenêtre sienne
afin d’agrandir sa surface constructive) se la verra refuser alors même que tous
s'en souviennent parfaitement.. mais si un (seul) accepte, il
arrive que s’ensuive de sa part.. une mise à distance avec celui-ci! Paradoxal ? Non :
celui qui en a bénéficié se verra souvent proposer quelque avantage s’il renonce
à son droit, et s'il y consent, c’est l’attesteur
qui prendra le feu à sa place (sans même qu’il ne le sache ou ne s'en doute). En ce cas, oui, aider
quelqu’un (ou plutôt la justice) c’est, non pas s’en faire un ennemi, mais
perdre un ami.
Il n'en demeure pas moins qu'il faut le faire.
* Ainsi un huissier ayant refusé d'assigner en référé une mairie et constatant qu'un confrère l'avait fait observe-t-il "qu'il avait sous estimé Mme X." (la personne qui voulait assigner la mairie)... ce qui signifie clairement qu'il avait cru avoir affaire à quelqu'un de fragile (donc qu'il refusait d'"aider", en le cas il ne s'agissait même pas d'aide mais de devoir professionnel) mais qu'à présent qu'il se rendait compte de son erreur, tout était changé. CQFD.
Il n'en demeure pas moins qu'il faut le faire.
* Ainsi un huissier ayant refusé d'assigner en référé une mairie et constatant qu'un confrère l'avait fait observe-t-il "qu'il avait sous estimé Mme X." (la personne qui voulait assigner la mairie)... ce qui signifie clairement qu'il avait cru avoir affaire à quelqu'un de fragile (donc qu'il refusait d'"aider", en le cas il ne s'agissait même pas d'aide mais de devoir professionnel) mais qu'à présent qu'il se rendait compte de son erreur, tout était changé. CQFD.